Oser (encore) la vie !

Fin d’année rime souvent avec bilan et résolutions. Qu’a-t-on accompli rétrospectivement et quelles sont nos (bonnes) intentions pour les douze prochains mois. Personnellement, je fais ce genre de constat et de projections à l’occasion de mon anniversaire, en août. La nouvelle année me donne plutôt l’élan pour poser mes envies. Début 2022, j’écrivais donc une liste très sérieuse de ce que j’aurais aimé vivre, construire, organiser durant l’année écoulée. Je vous le dis tout de suite, je n’en ai réalisée qu’une sur les vingt-deux que je viens de relire : adopter un chat. D’ailleurs elle n’est pas vraiment réalisée car je n’ai pas adopté mais acheté une petite minette. Ne me blâmez pas, je m’en veux déjà assez même si je n’en aurais voulu une autre pour rien au monde. 

Mais revenons-en à cette liste. Mes trois premières envies étaient :
– Faire une retraite silencieuse.
– Faire un voyage avec mes enfants. 
– M’allonger dans l’herbe.

 En réalité, il y en a une autre en tête de liste mais elle est un peu osée et ma maman lit ce blog. J’aurais dû écrire anonymement. Bref.
Ces trois envies sont toujours d’actualité. Je rêve d’un weekend ou de quelques jours de total silence. Un peu compliqué dans ma situation mais si je pars avec une accompagnante qui me connait bien, un regard ou un signe de tête pourrait suffire pour exprimer mes besoins.
J’aimerais aussi emmener mes enfants ailleurs. Pas forcément très loin mais un endroit qui nous dépayserait. Ces deux envies me demandent de sortir de mon confort quotidien, ce qui est très difficile pour moi depuis plusieurs années. Être confinée n’a rien arrangé. C’est un véritable défi que je n’ai pas réussi à relever. Je mise sur 2023 pour sortir de cette coquille qui devient vraiment trop étroite ! 

Quant à m’allonger dans l’herbe, c’est une envie que j’ai depuis si longtemps. Rien ne m’en empêche et pourtant. Je voudrais non seulement m’y coucher mais aussi rouler, comme un rouleau de printemps, comme quand on est enfant. Je ris à la simple idée que quelqu’un m’aide à dévaler une colline en me poussant de tout mon long. C’est tellement simple et je me l’interdis sans aucune vraie raison sinon celle d’être ridicule peut-être. Ou d’être trop vieille pour ces bêtises. Bordel mais qui nous empêche de dégringoler en bas d’un champ si on en a envie ? On me dit dans l’oreillette : c’est toi grosse nouille !

OSER sera sans aucun doute le maître-mot de cette nouvelle année. Et en écrivant le titre de ce billet, je me rends compte qu’en décembre 2020 j’intitulais déjà un article-bilan de la même façon. C’est qu’il en faut du temps et du courage apparement pour oser. Reste à sortir de mon bol (de nouilles) et grimper tout en haut de la montagne. Et vous, quelles sont vos envies ?

Brèves de vie : Le parc

Je suis au parc. Je regarde les gens courir. Ils sont beaux. Surtout les femmes. Elles ont des tenues parfaitement assorties, depuis leurs chaussures jusqu’à leur bandeau dans les cheveux. Même les chaussettes. Et sûrement les sous-vêtements aussi. Certaines portent des leggings avec des empiècements en tissu transparent, comme des collants fins. Sexy jusque dans l’effort. Je jette un œil méprisant à mes chaussons en laine. S’ils n’avaient pas été tricotés par ma mère je les détesterais. Je me dis que ces femmes ont trouver le moyen de faire taire Karl Lagerfeld – (même si on ne l’entend plus beaucoup vu que bon, il est mort) – puisqu’aujourd’hui ces bas destinés au sport sont portés dans la vie quotidienne.

Je suis toujours au parc. Je regarde les canards. Ils sont beaux. Surtout les mâles. Je n’arrive pas à être blasée devant leurs couleurs chatoyantes. Il y a des poules d’eau aussi, qui n’ont rien de très joli. Elles sont noires. Seul leur bec rouge donne un petit truc funky. Mais contrairement aux canards qui sont plutôt râleurs, les poules d’eau sont drôles. Elles sont toutes ensemble sur la berge à papoter et j’aimerais beaucoup comprendre ce qu’elles se racontent. Je ne peux m’empêcher de leur donner des prénoms. Georgette, Lucette, Ginette. Il doit bien y avoir un Robert ou un Gérard dans le tas mais je ne le vois pas. Je préfère les imaginer entre gonzesses.

Un couple de vieilles personnes passe devant moi. Ils sont encore plus beaux que les joggers et les canards réunis. Ils ont tous les deux les cheveux blancs. Ils sont petits. La dame a des yeux bleus. J’aurais aimé les prendre en photo furtivement mais je n’ai pas réussi à attraper mon téléphone à temps. J’ai failli le faire tomber. Encore. Je suis plus lente et maladroite qu’un couple d’octogénaires en promenade un dimanche matin au parc. Bref. Ils se tiennent la main. Ils jouent avec leurs doigts, les entremêlent comme feraient de jeunes amoureux. Ils se racontent des choses. J’aimerais savoir ce qu’ils se disent. Mais je n’ose pas tendre l’oreille de peur d’entendre un secret. Ou une anecdote coquine. Ils s’interrompent pour me saluer. Je leurs souris. 

Un même coureur passe pour la troisième fois. Il a un sac à dos d’où s’échappe de la musique. Elle est très forte. Il a calé le rythme de sa course et de son souffle sur les lourdes basses. Il est beau lui aussi. Luisant. Haletant. Un peu moins quand même que les petits vieux et les canards mais bien plus que les joggeuses saucissonnées dans leurs collants et leurs t-shirts fluorescents. Lui n’a pas de tenue stylée et il s’en fiche. Il est à fond dans ce qu’il fait. Il court. Rien d’autre. 

Je fais le tour du parc. Un groupe d’enfants exécutent les enchaînements qu’une jeune femme très enthousiaste leur montre. Ils miment la chanson des crocodiles. Ils sont beaux eux aussi. Leurs sourires avalent la moitié de leurs visages. Leurs yeux rieurs bouffent le reste. Je me souviens de mes Vies au même âge. Je me dis que ce genre d’activité leur aurait beaucoup plu. 

Je descends vers le cours d’eau. Sur une petite place je vois quelques personnes handicapées accompagnées de leurs chiens d’assistance. Elles portent les gilets de l’association qui élève et propose ensuite ces derniers à l’adoption. Il y a d’autres personnes avec ces mêmes gilets, valides, qui ont elles aussi des chiens qu’elles semblent entraîner. Je me dis que c’est une drôle de coïncidence, je regardais il y deux jours le site de cette même association. Prendre un chien comme ceux-là me trotte dans la tête. Je devrais aller leur parler, me renseigner. Mais je n’ose pas. Je regarde les chiens. Ils sont beaux. J’avance. Je cherche un regard qui me confirmerait que je peux m’incruster dans leurs activités. Je ne le trouve pas. Ou peut-être que je ne le vois pas. J’hésite encore un instant puis je poursuis ma route. Peut-être que je repasserai tout à l’heure. 

À l’entrée du parc il y a des agrès pour les sportifs. Je remarque un mec en tenue camouflée, comme les militaires. Je le regarde du coin de l’œil. Il est beau. Plus beau que le coureur au sac à dos. Il discute avec un autre gars. Ils se mettent eux aussi à courir. Je ne me souviens pas qu’on courait autant il y a 20 ou 30 ans. 

Je décide de me poser encore un moment au soleil. Je ne sais pas pourquoi, je cherche un banc. Je suis seule. Je suis assise dans mon fauteuil. Pourquoi vouloir m’arrêter près d’un banc alors que je pourrais le faire n’importe où ? Un réflexe archaïque sûrement. J’ai trouvé. Je m’installe face au soleil. Je pense à ma mère qui me vante inlassablement les bienfaits de la vitamine D. Je lui souris par la pensée. Je me dis que j’occupe un banc pour rien, que personne n’osera s’assoir tout en me maudissant de voler un emplacement. Je me décale juste assez pour laisser supposer que je ne veux pas le banc mais que je le veux un peu quand même. Je me fatigue de moi-même.

Le militaire passe devant moi avec son pote. Ils courent toujours. Je commence à écrire ce billet pour ne pas oublier ce qui me passe par la tête. Je ne vois plus ce qui se passe autour de moi. Quelques minutes s’écoulent. Je balaye les alentours du regard et à nouveau le militaire passe. Il me sourit. Ça fait du bien de voir des visages sans masque. J’ai enlevé le mien depuis mon arrivée au parc. L’extérieur et la distance le permettent. Je lui rends son sourire, un peu gênée. Je note encore quelques trucs. Je profite du soleil. Il fait chaud et je bataille pour enlever mon écharpe. Coincée dans mon dos, elle est maintenant positionnée comme celle de Miss France. Je me sens ridicule. Le militaire repasse. Je prends un air le plus d’étendu possible car je sais à son regard qu’il va me parler. Il arrive à ma hauteur et me lance un bonjour enjoué. Je balbutie un truc incompréhensible alors qu’il s’éloigne en trottinant avec son acolyte. Je crois qu’au prochain tour il va s’arrêter. Il va me demander si je vais bien ou une banalité du genre. Ou peut-être qu’il va me demander si j’occupe le banc. Il va en tous cas vouloir entrer en relation avec moi. Vite je dois fuir. Je coince mon téléphone entre mes jambes pour ne pas le perdre encore une fois. Je tente en vain de réajuster mon écharpe qui cette fois pends sur le côté au risque de traîner par terre et de se prendre dans mes roues. Je sors du parc et rentre chez moi. Je fais attention à mon téléphone, à l’écharpe, aux crottes de chiens, aux trous du trottoir et aux cyclistes impatients. Bientôt je serai à l’abri. Mince j’ai oublié de prendre des photos. Et de repasser près des chiens.

Je suis dans mon salon, le regard perdu à l’horizon. J’imagine la conversation avec l’instructeur de chiens d’assistances, ma main caressant la tête du magnifique labrador noir qu’il tient en laisse. S’il me le confiait je n’aurais plus jamais peur de faire tomber mon téléphone.

Je suis dans mon salon, l’esprit divaguant entre des SI et des MAIS. J’imagine l’échange avec ce beau militaire à propos du temps qu’il fait et de ce satané virus. Je le vois noté mon numéro dans son téléphone. Je me vois lire son premier message : « J’ai été ravi de faire ta connaissance, j’espère te voir au même endroit le week-end prochain. Moi je serai là … » 

Je suis dans mon salon. Mon téléphone est par terre. Je n’ai pas de rendez-vous le week-end prochain. Je retournerai au parc. Peut-être que j’y retrouverai le militaire. Sûrement les joggeuses. Et j’essaierai de ne pas fuir.