Entre les doigts d’un saule où il fait doux pleurer …

Le premier jour du reste de ta vie.

J’aimerais partir quelque part. Pas très loin. Au bord de l’eau. Pas forcément la mer. Ni l’océan. Il y aurait un banc sur la rive. Et un arbre. Un saule. Qui pleure. Comme je les aime. Comme je les aime !


J’aimerais partir là où je pourrais m’assoir sur ce banc, les genoux repliés sous le menton, emmitouflée dans mon gros sweat, à l’abri d’un saule qui pleurerait sur mes épaules. Le long d’une eau vive, peut-être un torrent ou un simple ruisseau.
Je n’aurais besoin de presque rien. Seulement le bruit de l’eau, le souffle du vent dans les longs doigts du saule et la brume mystérieuse d’un matin de novembre. Ce serait le jour des morts, ce jour que je ne célèbre jamais ou que je ne commémore pas. Je ne sais pas vraiment ce qu’il convient de dire. Ce serait le premier jour de ce qui me reste à vivre, ou quelque chose comme ça que chantait Daho. Il y aurait la solitude et sa douce caresse. Il y aurait peut-être quelques larmes et un peu de morve. Et je ne serais pas très jolie assise là sur ce banc car je dois l’admettre j’ai la tristesse moche.

J’y songe : est-ce que ça vaudrait le coup de partir si je ne peux pas m’assoir sur ce banc? Si je ne peux pas recroqueviller mes genoux sous mon menton? Si les racines du saule qui s’emmêlent en un tas de serpents m’empêchent d’approcher des longs doigts qui se balancent? Si le torrent est sorti de son lit et qu’après son passage il n’a laissé que de la boue où je m’enliserais? S’il y a des gens aux alentours pour briser le silence. Et si ce presque rien qui suffirait à libérer le flot qui me submerge n’arrive jamais à m’atteindre? Est ce que ça vaudrait la peine?

Je veux vivre ce moment comme je l’imagine. Je ne veux pas de compromis. Je ne veux pas appeler un quelconque numéro pour m’assurer de l’accessibilité du lieu. Je ne veux pas chercher les toilettes adaptés les plus proches. Je ne veux pas m’approcher de l’eau sous le regard de badauds curieux. Je ne veux pas me sentir observée, pressée, par l’accompagnante qui attend dans la voiture. Je ne veux pas partir quelque part, pleurer sous les doigts d’un saule, si ce doit être préparé, millimétré, dépouillé de toute magie et de spontanéité. C’est peut-être un de mes derniers caprices, refuser d’organiser ce moment, de l’ajouter à mon planning, d’élaborer la liste : trouver un banc au bord de l’eau, un arbre qui pleure, le tout adapté aux PMR. Je veux le garder à moi, en moi, comme un précieux souvenir qui n’a jamais existé.