Nous sommes du même chaos !

Vous avez raison Christian, la vie est un sacré chaos. Nous passons beaucoup de temps à tenter d’en sortir, à vouloir y mettre de l’ordre, à l’ignorer sans en comprendre finalement le charme et l’intérêt. Car à quoi bon vivre si rien ne vient jamais nous bousculer ?
Cette idée de chaos m’est si familière. À plusieurs reprises le sol s’est dérobé sous moi, me plongeant dans un abime qui semblait sans fond. Égarée dans le noir, la lumière d’autres existences m’a sans doute guidée vers mon propre soleil. Et comme je l’aime aujourd’hui ce joli chaos. Il est à l’origine de mes engagements et de mes combats. Il est plus précieux que n’importe laquelle de mes réussites. Et cette intelligence, cette force, cette capacité à trouver la lumière partout où règne l’obscurité, quelle fierté d’en avoir fait une arme contre l’adversité et de pouvoir aujourd’hui la partager !

Que la lumière soit !

J’ai entamé une formation sur la résilience. Je ne sais pas ce qui m’a pris car la résilience et moi on se connaît bien, c’est une grande histoire et j’ai l’impression d’en avoir bouffé à toutes les sauces depuis un moment. Pas besoin d’en savoir plus. J’en suis même arrivée à remettre le concept en question, à le trouver galvaudé, à en avoir ras le bol d’en entendre parler. Pourtant je me suis inscrite et je ne le regrette pas finalement.

Je crois que ce qui m’y a incité, c’est la promesse de travailler sur une résilience du quotidien, une résilience qui pourrait s’apprendre et se travailler, qui ne serait pas seulement cette capacité surnaturelle dont certain-e-s auraient hérité, leur permettant de se relever de n’importe quel drame. J’ai trouvé le principe plutôt intéressant et après avoir parcouru la moitié de la formation je dois avouer que je suis presque réconciliée avec ma vieille copine la résilience.

Depuis l’accident je suis considérée comme une personne résiliente donc forcément très souvent inspirante. J’ai régulièrement droit à « Je ne sais pas comment tu fais ! » auquel je réponds par un « Je fais comme je peux ». Et c’est vrai. Je n’ai rien d’exceptionnel. J’en bave parfois. On peut sûrement saluer ma capacité à le cacher, à toujours répondre que je vais bien même lorsque j’en peux plus. Mais ce n’est pas être résiliente. C’est être pudique peut-être. C’est sûrement avoir de la fierté et être mal à l’aise avec ses fragilités. En vrai, c’est être un peu naze de ne pas oser se montrer vulnérable. Et si je me livre peu, si je joue à la femme forte, si je garde précieusement pour moi mes états de corps et mes états d’âmes, je n’ai par contre aucun souci avec ceux des autres. Je les écoute, je les accueille, j’y suis attentive et je nourris ainsi mon insatiable curiosité de la nature humaine. Mais impossible pour moi de me confier sur ce qui me traverse, je tiens à ne rien montrer de ma vulnérabilité, quitte à crever noyer dans mes propres larmes.

Alors résilience ou déni ? Sûrement un peu des deux. Cette formation me permet de faire la part des choses entre ce qui relève de ma force face à l’adversité et ce qui tient à ma facilité à mettre des œillères et faire comme si tout allait bien. Il n’y a pour autant rien de révolutionnaire dans ces cours, pas de recettes miracles, seulement des stratégies que nous utilisons souvent sans nous en rendre compte et d’autres que nous pouvons nous approprier facilement. Et c’est ce qui me plait beaucoup, ranger la cape de super-héroïne et s’apercevoir qu’on l’est déjà tous-tes un peu, résilients-es.

Il y a très longtemps j’ai partagé ma chambre en CRF(1) avec une jeune femme qui n’avait pas la résilience facile. J’aurais aimé lui expliquer ce que je viens d’apprendre, lui parler de ses nombreuses forces, de ses capacités restées intactes et de la lumière qui brillait toujours si fort en elle. Cela lui aurait peut-être évité de s’éteindre trop tôt.

Fin novembre je serai promue « Facilitatrice de résilience » pour adultes mais aussi et surtout pour enfants et adolescents. Je ne sais pas encore ce que je ferai de cette nouvelle corde à mon arc mais le voyage vaut la peine d’être entreprit et cela peu importe où il m’emmène.

Les illustrations sont de Manka Kasha
(1) CRF : Centre de Rééducation Fonctionnelle