Dégonflée

J’observe avec mépris la roue crevée de mon fauteuil roulant. Le bitoniot qui sert à gonfler la chambre à air a disparu à l’intérieur du pneu. Il faut démonter. Le service après-vente de mon revendeur de matériel médical est fermé. Me voilà sans moyen de me déplacer. Je me sens comme peu de chose. Mon dimanche est contrarié. Et moi aussi je dois l’avouer. Ma journée est gâchée pour une connerie de pneu crevé. 

J’ai terminé il y a quelques semaines une formation sur la résilience au quotidien. C’est la situation parfaite pour m’exercer et utiliser les outils mis à ma disposition. Je pourrais me dire que je n’ai pas de chance et que le sort s’acharne (c’est la quatrième fois en deux ans). Je pourrais me lamenter de devoir rester allongée, d’être obligée d’annuler mon ciné, de ne pas pouvoir être présente pour la location de ma voiture (via Wheeliz). C’est d’ailleurs ce que j’ai fait les premières minutes. Mais ça ne m’aide pas à me sentir mieux. Et si je changeais de perspective ? 

Il neigeotte et il fait froid. Rester au chaud sous la couette est plutôt réconfortant. L’amie avec laquelle je devais aller voir un film va passer et on pourra papoter en buvant un bon petit café. J’ai imprimé les contrats de location, je serai au téléphone en haut-parleur avec la personne qui loue ma voiture pendant que mes enfants montreront comment fonctionnent la rampe et les attaches. 

Voilà qui est mieux. La vilaine boule qui s’était installée dans mon ventre a disparu. Demain à la première heure je contacterai mon revendeur pour réparer cette saloperie de pneu que je ferai changer le plus rapidement possible pour des roues à bandage increvables. J’irai voir le film prévu dans la semaine. Et vendredi je récupérerai ma voiture après sa location. 

Il est 12:36 et finalement je me réjouis de passer cette journée en mode cocooning. Je vous souhaite un très bon dimanche. À demain pour ouvrir la douzième porte de ce calendrier plein de surprises ! 

Que la lumière soit !

J’ai entamé une formation sur la résilience. Je ne sais pas ce qui m’a pris car la résilience et moi on se connaît bien, c’est une grande histoire et j’ai l’impression d’en avoir bouffé à toutes les sauces depuis un moment. Pas besoin d’en savoir plus. J’en suis même arrivée à remettre le concept en question, à le trouver galvaudé, à en avoir ras le bol d’en entendre parler. Pourtant je me suis inscrite et je ne le regrette pas finalement.

Je crois que ce qui m’y a incité, c’est la promesse de travailler sur une résilience du quotidien, une résilience qui pourrait s’apprendre et se travailler, qui ne serait pas seulement cette capacité surnaturelle dont certain-e-s auraient hérité, leur permettant de se relever de n’importe quel drame. J’ai trouvé le principe plutôt intéressant et après avoir parcouru la moitié de la formation je dois avouer que je suis presque réconciliée avec ma vieille copine la résilience.

Depuis l’accident je suis considérée comme une personne résiliente donc forcément très souvent inspirante. J’ai régulièrement droit à « Je ne sais pas comment tu fais ! » auquel je réponds par un « Je fais comme je peux ». Et c’est vrai. Je n’ai rien d’exceptionnel. J’en bave parfois. On peut sûrement saluer ma capacité à le cacher, à toujours répondre que je vais bien même lorsque j’en peux plus. Mais ce n’est pas être résiliente. C’est être pudique peut-être. C’est sûrement avoir de la fierté et être mal à l’aise avec ses fragilités. En vrai, c’est être un peu naze de ne pas oser se montrer vulnérable. Et si je me livre peu, si je joue à la femme forte, si je garde précieusement pour moi mes états de corps et mes états d’âmes, je n’ai par contre aucun souci avec ceux des autres. Je les écoute, je les accueille, j’y suis attentive et je nourris ainsi mon insatiable curiosité de la nature humaine. Mais impossible pour moi de me confier sur ce qui me traverse, je tiens à ne rien montrer de ma vulnérabilité, quitte à crever noyer dans mes propres larmes.

Alors résilience ou déni ? Sûrement un peu des deux. Cette formation me permet de faire la part des choses entre ce qui relève de ma force face à l’adversité et ce qui tient à ma facilité à mettre des œillères et faire comme si tout allait bien. Il n’y a pour autant rien de révolutionnaire dans ces cours, pas de recettes miracles, seulement des stratégies que nous utilisons souvent sans nous en rendre compte et d’autres que nous pouvons nous approprier facilement. Et c’est ce qui me plait beaucoup, ranger la cape de super-héroïne et s’apercevoir qu’on l’est déjà tous-tes un peu, résilients-es.

Il y a très longtemps j’ai partagé ma chambre en CRF(1) avec une jeune femme qui n’avait pas la résilience facile. J’aurais aimé lui expliquer ce que je viens d’apprendre, lui parler de ses nombreuses forces, de ses capacités restées intactes et de la lumière qui brillait toujours si fort en elle. Cela lui aurait peut-être évité de s’éteindre trop tôt.

Fin novembre je serai promue « Facilitatrice de résilience » pour adultes mais aussi et surtout pour enfants et adolescents. Je ne sais pas encore ce que je ferai de cette nouvelle corde à mon arc mais le voyage vaut la peine d’être entreprit et cela peu importe où il m’emmène.

Les illustrations sont de Manka Kasha
(1) CRF : Centre de Rééducation Fonctionnelle