Avec tes miches de rat, qu’on dirait des noisettes !

À l’occasion d’Octobre Rose, le mois de sensibilisation au cancer du sein, j’ai vu passer à plusieurs reprises sur les réseaux sociaux une publication qui m’a titillée, sûrement par sa similitude avec ce que j’entends souvent et qui m’agace beaucoup.

Sur cette image, que je ne partagerai pas, une jeune femme au crâne chauve, visiblement atteinte ou en rémission d’un cancer, arbore un grand sourire et forme un cœur avec ses mains. Sous la photo on peut lire :
« Toi qui te plains de tes cheveux trop raides ou trop bouclés et de tes seins trop gros ou trop petits, pense à cette femme qui n’a plus ni cheveux, ni seins et qui est heureuse du simple fait d’avoir survécu et d’être en vie ».

En bref on t’explique que si tu n’as pas failli claquer d’un cancer du sein, si on ne t’a pas charcuté la poitrine ou si tu n’as pas perdu au moins la moitié de tes cheveux, tu n’as aucun droit de te plaindre. On te signifie même que tu devrais culpabiliser d’oser aborder le sujet de ta tignasse indomptable ou raplapla et de tes minuscules ou énormes seins. D’ailleurs on ne comprend pas que tu ne sois pas envahie par la honte et on te suspecte de ne pas penser une seule seconde à la souffrance de ces femmes. Comme si la culpabilité et la honte ne nous rongeaient pas assez comme ça, le ON des bien-pensants te rappelle combien tu es une mauvaise fille.

Ce genre de raisonnement m’énerve vraiment. Pire, il me fait mal au cœur car il suppose qu’il existe une hiérarchie au malheur, à la souffrance, au drame. Je trouve que c’est aller un peu vite en besogne.

Très souvent, si quelqu’un se plaint auprès de moi d’un lumbago ou d’une entorse à la cheville, il ou elle va tout à coup se sentir gêné-e et me dire : « Oh mais je ne devrais pas te parler de ça, c’est rien par rapport à toi ! ». C’est à dire ? Par rapport à moi ??? Tu m’as pris pour une échelle sur laquelle mesurer ta souffrance ? Tu penses réellement que ma propre histoire m’empêche d’être sensible envers celles des autres ? Quelle triste façon d’appréhender les relations humaines !

Et si ce n’est pas cette personne, une autre va se charger de me rappeler que « Quand même ce n’est pas très sympa de te parler de ses problèmes aux pieds alors que tu ne peux plus marcher ». Bordel si on devait se confier sur ses peines et ses douleurs en fonction de celles de son interlocuteur, on serait bien emmerdé. Celle-ci, impensable de lui parler de nos enfants car elle ne peut pas en avoir. Celui-là, impossible de lui confier nos problèmes de couple car il est veuf. Avec Amelie, évite à tout prix de te plaindre de tes pieds, de tes jambes, de ton bassin, de ton dos, de tes mains, de ce que tu marches trop ou pas assez, que tu ne cours plus par manque de temps, que tu es trop longtemps assis ou debout au boulot et de tout ce qui pourrait lui rappeler de près ou de loin qu’elle est dans un fucking fauteuil. Les sujets de conversation vont vite être épuisés.

Nous ne sommes pas égaux face à la souffrance. Un proche m’a sérieusement expliqué que sa vie était foutue parce qu’il allait devoir prendre un traitement quotidien. Mon gars ça fait 26 ans que j’avale une dizaine de médicaments par jour et on s’en sort très bien. Mais mon expérience n’est pas la sienne. Une autre s’est mise à pleurer pour une cicatrice sur l’épaule, 2 petites marques rondes là où elle avait un vilain grain de beauté. Je comptabilise une centaine de points de sutures ou d’agrafes, ma nuque, mon ventre et ma gorge sont balafrées sans que ça ne m’ait jamais posé de réel souci. Mais mon rapport au corps n’est pas le sien. Par contre qu’est ce que j’en ai bavé d’avoir des petites miches de rat ! On ne choisit pas ses complexes. Et me plaindre de mes noisettes ne fait pas de moi une mauvaise personne qui serait insensible à ce que traverse une femme atteinte d’un cancer du sein.

Bien entendu la délicatesse est de mise lorsqu’on s’adresse à une personne qui souffre ou a souffert. Se plaindre sans arrêt en oubliant l’histoire de celui ou celle en face de nous n’est pas très opportun. Mais on peut faire preuve d’empathie et de bienveillance sans pour autant devenir dingues à réfléchir aux bons mots. Nous avons toutes et tous prononcé un jour LA phrase inappropriée. J’ai évoqué les kilos que j’aimerais prendre devant une amie obèse. J’ai réellement dit à une copine, dans un moment où j’avais le moral à zéro, que je n’avais plus qu’à aller me pendre, oubliant que son père s’était suicidé de cette façon. Et oui, oui, oui, j’ai osé me plaindre de ma petite poitrine à une femme qui a eu une reconstruction mammaire suite à une double mastectomie. Et vous savez quoi ? Ces 3 femmes sont toujours mes amies et j’ai depuis écouté leurs histoires de pieds fatigués, de jambes lourdes, de bassins décalés, de corps douloureux, de journées épuisantes à rester longtemps debout ou trop assises. Et aucune d’entre nous ne culpabilise ou n’a honte. Les liens qui nous unissent vont bien au-delà des mots malheureux que l’ont pourrait laisser échapper.

À cette femme sur la photo, qui j’en suis certaine n’est pas à l’origine de ce message, et à toutes les autres qui savent faire la part des choses, voilà le mien de message ;)

9 réflexions sur « Avec tes miches de rat, qu’on dirait des noisettes ! »

  1. J’approuve tout. Je suis entièrement d’accord.
    En te lisant, je réalise un autre truc qui me gêne dans ce genre de discours : il vise à faire culpabiliser le lecteur mais est-ce que la culpabilité est vraiment un bon moteur ??? (Je suis convaincue que non. En tout cas, moi ça me donne plutôt envie de l’écrabouiller, de fermer bien vite les yeux et d’oublier. Et les piques de culpabilité ça fait plutôt du mal que du bien…)

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    1. La culpabilité empêche. Elle empêtre. Elle est à mon sens l’arme des faibles emplis de certitudes sur celles et ceux qui se remettent en question et recherche un sens à ce chahut ambiant. Plutôt que de fermer les yeux, observons la passer en souriant 😊

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  2. Bonsoir Amélie
    Le misérabilisme des uns est toujours un appel aux geremiades en tout genre. C’est l’expression d’une médiocrité, mais il en existe de tellement de forme.
    Tu as tout à fait raison sur la hiérarchie du malheur.
    Alors quoi de mieux que de sentir du bonheur en soi. Soit un ou plusieurs petits, ou alors un énorme qui te met la tête à l’envers.
    Alors quoi de mieux que d’agir pour aller le chercher ce putain de bonheur. Ou alors remuer ciel et terre pour éprouver une jolie lumière qui va briller dans nos têtes, même pas forcément longtemps, on s’en fout. Elle sera en nous et nos mots auront une saveur différente.
    La mièvrerie aura un goût plus fade, il me semble.
    A bientôt

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  3. Oui j’ai toujours du mal avec ce genre de slogan! On peut même dire que c’est cette échelle du malheur si chère à certains qui m’a permis d’accepter des choses inacceptables. Sous prétexte qu’il y avait pire.
    Comme tu le dis bien, chacun son expérience de vie, nous ne sommes pas égaux face à ce qui nous touche et nous affecte.
    Ecoute et empathie, respect de chacun, voilà un bon cocktail.
    Merci pour ton partage qui fait du bien!

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