À un cheveux près …

En début d’année j’ai rasé mes cheveux. Ils étaient abîmés. C’est la version officielle donnée par les autorités. Mais un jour on découvrira dans les archives que je ne pouvais plus souffrir l’image que me renvoyait mon miroir. Ce carré mal foutu, ces racines grises que je me sentais obligée de teindre, ces remarques sur mon manque d’entretien, de soin ou le brushing qu’il faudrait absolument faire. Cette idée me trottait dans la tête depuis longtemps et j’ai osé passer le cap un mercredi avec mes enfants. Ça a été un moment familial très drôle et je pense qu’ils se souviendront toute leur vie du jour où ils ont rasé la tête de maman. Et moi, ça m’a mise en joie :)

Depuis toute petite je livre une guerre froide à mes cheveux. J’ai une tignasse qui n’a rien à envier à celle de Raiponce et j’oscille entre amour et haine à son encontre. Les séances de démêlage intensif me laissent des souvenirs douloureux. Les pleurs, les cris, la boule au ventre et l’envie de m’enfuir ou de frapper ma mère hantent encore ma mémoire. J’ai eu des périodes où j’ai porté mes cheveux très longs et d’autres où je les ai eu vraiment courts. Entre ces deux extrêmes j’ai testé tout ce qu’il est possible, de la permanente à la décoloration, du carré noir stricte au dégradé blond sauvage.

Quand j’étais gamine mon père adorait mes cheveux longs. Du moins c’est ce que ma mère me disait car je ne me souviens pas qu’il en ai jamais parlé (je crois bien que c’est elle qui les kiffait mais ne lui dites pas que je le sais). Lorsque j’ai émis le souhait de les couper, elle m’a rappelé combien il serait triste et déçu, supposant que la perspective de faire de la peine à mon père et qu’il puisse m’aimer moins, me ferait changer d’avis. C’est l’effet inverse qui s’est produit. Couper mes cheveux est devenu une idée fixe. J’étais décidée à mettre à l’épreuve l’amour de mon père, refusant qu’il soit subordonné à la longueur de mes cheveux. 

À la veille de mon entrée en 6eme ma marraine a persuadé mes parents du bien-fondé de ma demande et m’a emmenée chez la coiffeuse. Cette dernière a eu bien du mal à s’exécuter et m’a offert, les larmes aux yeux, la natte qu’elle avait soigneusement tressée avant de la trancher d’un coup de ciseau. C’était presque religieux et je me suis sentie obligée de conserver longtemps le cadavre de mes cheveux attachés par un petit élastique orange. Je ne me souviens pas vraiment de la réaction de mon père, je crois qu’une fois la surprise passée il a continué de m’aimer. Tant mieux car j’aurais pu mourir d’apprendre que son amour ne tenait qu’à un cheveux.

Depuis cette première entaille au règlement implicite de la féminité, j’ai toujours eu un problème avec cette injonction qui nous oblige à avoir les cheveux longs, sous peine d’être moins « femme « . Je m’y suis obligée à certaines périodes mais je ne peux plus désormais m’y plier. Je constate que je me défait petit à petit des artifices sensés rendre plus féminine. Je me maquille encore moins qu’avant, donc presque plus. Mes bijoux sont énergétiques et non pas ornementaux. Je porte les mêmes vêtements depuis plusieurs années. Je ne fais d’ailleurs pratiquement pas de shopping. 

En rasant mes cheveux c’est comme si j’avais vu apparaître pour la première fois mon vrai visage. Dépouillée de cette masse, j’ai eu l’impression d’apercevoir mon moi profond. Et il est bien plus féminin que je ne l’imaginais. Je n’ai plus besoin de cheveux longs, lissés et teintés pour en être persuadée. Je me sens femme face à un homme mais également face à une autre femme. Je connais mon cycle par cœur, je sais exactement où j’en suis et pourquoi je ressens telle émotion. Je me rapproche de ma nature profonde et me réconcilie doucement (mais sûrement) avec cette part de moi-même.

Je crois que mon but a toujours été de plaire sans artifice, d’être aimée pour qui je suis et non pas pour l’image que je renvoie. Sans doute que me retrouver en fauteuil roulant a exacerber ce sentiment, une grande part de ma féminité s’étant évaporée aux yeux des autres, mais il me semble que déjà adolescente je ragerais de devoir passer autant de temps à me « préparer » au monde.  

Presque un an plus tard je ne rase plus ma tête. Je garde tout de même les cheveux courts, fière d’arborer un gris argenté que j’aime beaucoup. Rien ne dit que je ne les raserai pas ou ne les laisserai pas pousser à nouveau mais alors ce sera pour mon unique plaisir. Et pour entretenir la liste de mes nombreuse contradictions :)

Avec tes miches de rat, qu’on dirait des noisettes !

À l’occasion d’Octobre Rose, le mois de sensibilisation au cancer du sein, j’ai vu passer à plusieurs reprises sur les réseaux sociaux une publication qui m’a titillée, sûrement par sa similitude avec ce que j’entends souvent et qui m’agace beaucoup.

Sur cette image, que je ne partagerai pas, une jeune femme au crâne chauve, visiblement atteinte ou en rémission d’un cancer, arbore un grand sourire et forme un cœur avec ses mains. Sous la photo on peut lire :
« Toi qui te plains de tes cheveux trop raides ou trop bouclés et de tes seins trop gros ou trop petits, pense à cette femme qui n’a plus ni cheveux, ni seins et qui est heureuse du simple fait d’avoir survécu et d’être en vie ».

En bref on t’explique que si tu n’as pas failli claquer d’un cancer du sein, si on ne t’a pas charcuté la poitrine ou si tu n’as pas perdu au moins la moitié de tes cheveux, tu n’as aucun droit de te plaindre. On te signifie même que tu devrais culpabiliser d’oser aborder le sujet de ta tignasse indomptable ou raplapla et de tes minuscules ou énormes seins. D’ailleurs on ne comprend pas que tu ne sois pas envahie par la honte et on te suspecte de ne pas penser une seule seconde à la souffrance de ces femmes. Comme si la culpabilité et la honte ne nous rongeaient pas assez comme ça, le ON des bien-pensants te rappelle combien tu es une mauvaise fille.

Ce genre de raisonnement m’énerve vraiment. Pire, il me fait mal au cœur car il suppose qu’il existe une hiérarchie au malheur, à la souffrance, au drame. Je trouve que c’est aller un peu vite en besogne.

Très souvent, si quelqu’un se plaint auprès de moi d’un lumbago ou d’une entorse à la cheville, il ou elle va tout à coup se sentir gêné-e et me dire : « Oh mais je ne devrais pas te parler de ça, c’est rien par rapport à toi ! ». C’est à dire ? Par rapport à moi ??? Tu m’as pris pour une échelle sur laquelle mesurer ta souffrance ? Tu penses réellement que ma propre histoire m’empêche d’être sensible envers celles des autres ? Quelle triste façon d’appréhender les relations humaines !

Et si ce n’est pas cette personne, une autre va se charger de me rappeler que « Quand même ce n’est pas très sympa de te parler de ses problèmes aux pieds alors que tu ne peux plus marcher ». Bordel si on devait se confier sur ses peines et ses douleurs en fonction de celles de son interlocuteur, on serait bien emmerdé. Celle-ci, impensable de lui parler de nos enfants car elle ne peut pas en avoir. Celui-là, impossible de lui confier nos problèmes de couple car il est veuf. Avec Amelie, évite à tout prix de te plaindre de tes pieds, de tes jambes, de ton bassin, de ton dos, de tes mains, de ce que tu marches trop ou pas assez, que tu ne cours plus par manque de temps, que tu es trop longtemps assis ou debout au boulot et de tout ce qui pourrait lui rappeler de près ou de loin qu’elle est dans un fucking fauteuil. Les sujets de conversation vont vite être épuisés.

Nous ne sommes pas égaux face à la souffrance. Un proche m’a sérieusement expliqué que sa vie était foutue parce qu’il allait devoir prendre un traitement quotidien. Mon gars ça fait 26 ans que j’avale une dizaine de médicaments par jour et on s’en sort très bien. Mais mon expérience n’est pas la sienne. Une autre s’est mise à pleurer pour une cicatrice sur l’épaule, 2 petites marques rondes là où elle avait un vilain grain de beauté. Je comptabilise une centaine de points de sutures ou d’agrafes, ma nuque, mon ventre et ma gorge sont balafrées sans que ça ne m’ait jamais posé de réel souci. Mais mon rapport au corps n’est pas le sien. Par contre qu’est ce que j’en ai bavé d’avoir des petites miches de rat ! On ne choisit pas ses complexes. Et me plaindre de mes noisettes ne fait pas de moi une mauvaise personne qui serait insensible à ce que traverse une femme atteinte d’un cancer du sein.

Bien entendu la délicatesse est de mise lorsqu’on s’adresse à une personne qui souffre ou a souffert. Se plaindre sans arrêt en oubliant l’histoire de celui ou celle en face de nous n’est pas très opportun. Mais on peut faire preuve d’empathie et de bienveillance sans pour autant devenir dingues à réfléchir aux bons mots. Nous avons toutes et tous prononcé un jour LA phrase inappropriée. J’ai évoqué les kilos que j’aimerais prendre devant une amie obèse. J’ai réellement dit à une copine, dans un moment où j’avais le moral à zéro, que je n’avais plus qu’à aller me pendre, oubliant que son père s’était suicidé de cette façon. Et oui, oui, oui, j’ai osé me plaindre de ma petite poitrine à une femme qui a eu une reconstruction mammaire suite à une double mastectomie. Et vous savez quoi ? Ces 3 femmes sont toujours mes amies et j’ai depuis écouté leurs histoires de pieds fatigués, de jambes lourdes, de bassins décalés, de corps douloureux, de journées épuisantes à rester longtemps debout ou trop assises. Et aucune d’entre nous ne culpabilise ou n’a honte. Les liens qui nous unissent vont bien au-delà des mots malheureux que l’ont pourrait laisser échapper.

À cette femme sur la photo, qui j’en suis certaine n’est pas à l’origine de ce message, et à toutes les autres qui savent faire la part des choses, voilà le mien de message ;)