Un cahier et un crayon

Depuis quelques jours j’ai très envie d’écrire. J’ai commencé plusieurs articles sans jamais arriver au bout de l’un d’entre eux. Il y a quelque chose qui veut sortir et je n’arrive pas à mettre de mots dessus. C’est agaçant car ça crée une sensation désagréable au creux du ventre, juste au niveau du diaphragme, qui m’oblige à soupirer souvent, à respirer profondément pour évacuer cette tension. En désespoir de cause, je me suis dit que j’allais écrire pour ne rien dire, je verrai bien ce qui en découle.

J’aurais aimer me servir d’un vrai cahier, d’un vrai crayon. L’écriture manuscrite me manque terriblement. Noircir des pages. Tenir un journal. Avoir un agenda. Laisser des petits mots ici et là à mes amours. Je peux écrire un tout petit peu. Signer par exemple. Avec un appareillage j’y arrive un peu plus longtemps. Mais ça manque cruellement de spontanéité. Je dois demander qu’on m’installe mon atèle, qu’on me donne le cahier. Si j’ai besoin de prendre rapidement des notes je préfère utiliser mon téléphone. Et je suis pleine de gratitude de pouvoir m’en servir seule. L’arrivée du smartphone a changé ma vie. C’est l’unique endroit qui m’appartient. L’intérieur de mon IPhone. Autant vous dire que je le kiffe grave et que sur ce coup là je m’assois sur mes principes de consommer local et dans le respect du travail d’autrui. J’ai essayé d’autres modèles, français ou étrangers, aucun tactile n’arrive à la hauteur du mien. Si un jour c’est le cas je réviserai ma position. En attendant je continue de croquer la pomme.

Mais revenons-en à nos moutons. La vilaine sensation est toujours là, mon plexus solaire est tout penaud et je vais finir par boire un rosé si ça ne passe pas. Je préfèrerais néanmoins trouver ce qui coince plutôt que de me saouler. Tiens j’ai parlé plus haut du manque de spontanéité dans l’écriture, je crois que je peux appliquer cette réflexion à toute ma vie. Mon quotidien est réglé comme du papier à musique. Pas de place pour l’imprévu. Et c’est vraiment paradoxal de vouloir lâcher prise, de travailler à vivre l’instant présent, quand ton existence toute entière est organisée des semaines à l’avance. Je crois que c’est une réalité qui me pèse de plus en plus. Lorsque j’étais avec Ex-Chéri-Coco je ne le ressentais pas autant. Nos vivions presque normalement et si mon handicap nous imposait bien-sûr des contraintes, nous pouvions partir n’importe où et n’importe quand, il était là et assurait le job. Ce qui à long terme a sûrement foutu la merde mais ce n’est pas le sujet d’aujourd’hui. Enfin je crois pas … Toujours est-il qu’avoir vécu ces moments de liberté à ses côtés rend encore plus difficile mon quotidien d’aujourd’hui. Une grande partie de mon temps est consacré à l’organisation du planning de mes accompagnantes. Et une grande partie de mon stress est dû également à ça. Je note, je planifie, je réfléchis à qui doit être là pour la sortie de l’école, le cours de trompette, récupérer les courses, me lever le matin et me coucher le soir, préparer le repas, changer les draps, prendre le courrier, m’emmener à Besançon, ne pas oublier la pharmacie, laisser des clefs pour celle du soir, faire le plein de la voiture, mince il n’y a plus de sel pour l’adoucisseur ni de croquettes pour les chiens, et voilà que j’ai envie de pisser … cette liste est bien entendu très loin d’être exhaustive. Vous me direz c’est le lot de tout le monde Et c’est vrai. Sauf que tout ça moi je le délègue. Je dois penser à faire faire. Et si à 18h je me rends compte que je n’ai plus de cachetons, je ne saute pas dans ma voiture pour filer à la pharmacie. Je panique. J’ameute mes cinq accompagnantes. Je prie pour qu’une d’elles soit disponible. Et souvent ça se termine bien. Mais c’est une discipline qui me pèse de plus en plus, surtout que je n’ai pas été livrée de série avec les fonctions planning et calendrier. Je suis bordélique et éparpillée. Et la cyclothymie n’arrange rien avec ses phases hautes où rien n’est grave et ses phases basses où tout est insurmontable.

En partant de ce constat je suis certaine que vivre en ville va me changer la vie. La pharmacie ? Elle est à 200 mètres. Le cours de trompette ? C’est à trois arrêts de bus. Aller à mes activités associatives ? Le tramway m’y emmène en 20 minutes. Nous ferons nos courses toutes les trois au magasin bio du coin et au marché hebdomadaire. À pieds. Terminer la voiture, monter, descendre, harnacher le fauteuil à douze reprises, trouver une place adéquate. Et ce dont je rêve depuis tellement longtemps, lire un bouquin en terrasse d’un café, seule. SEULE. Je rêve de solitude. J’ai conscience que certains en crèvent, d’être seuls. Moi je crève de dépendre des autres et de n’avoir pour seule intimité que la mémoire de mon téléphone. Bien sûr que j’ai des moments où personne n’est présent. Mais c’est chez moi, dans ma maison, toujours. Je n’ose pas partir en balade au risque d’avoir un souci et de me retrouver coincée en pleine campagne. Je ne conduis pas. Alors j’écris pour m’évader. Je suis reconnaissante d’avoir cette possibilité.

Personne ne peut imaginer ce qu’est une vie de dépendance. Certain-e-s ont vécu cette situation de manière temporaire et ont goûté à cet état si particulier. Savoir que c’est pour la vie change la donne. Surtout quand on a, comme moi, un caractère très indépendant. Ma liberté d’agir me manque. Je crois qu’on ne peut jamais totalement accepter un handicap. Ce serait se résigner. Mais on peut faire avec, s’en accommoder, y trouver son compte et parfois le transcender. Ça je sais faire. Et c’est une raison de plus de se réjouir.

Toutefois ne vous méprenez pas. Ma dépendance ne m’empêche pas d’être autonome. Je pense même que ces trois dernières années, ce sentiment d’être prisonnière de mon corps et de dépendre des autres n’a fait qu’accroître ma soif d’autonomie, de devenir l’unique actrice de ma destinée, de m’affranchir du regard des autres et de ce qu’ils peuvent penser. C’est d’autant plus vrai depuis le début de l’année. Nous traversons tous des périodes plus compliquées que d’autres et depuis ma séparation j’ai vécu des ‘trucs de dingues’, j’ai pris l’ascenseur émotionnel à maintes reprises, passant de l’appartement terrasse au sous-sol en quelques secondes parfois. Mais je crois fermement que rien n’arrive par hasard et que même si nous restons libres dans nos choix, ce qui se passe dans nos vies, les personnes que nous rencontrons, sont autant d’expériences nécessaires qui nous permettent d’avancer et de grandir. Jusqu’à récemment j’avais la sale habitude de me poser en victime. Je me trouvais toujours des circonstances atténuantes. Aujourd’hui je prends plaisir à assumer mes erreurs car elles font partie de moi, de mon histoire, et j’aime la tournure que prennent les choses. Le chemin que j’ai emprunté, celui bordé de saules et de jolies fleurs dont je vous ai parlé ici, continue de m’interroger et de m’émerveiller. Il me reste quand même du boulot et une des premières tâches à accomplir est de me pardonner. Me pardonner d’être monter dans cette voiture il y a 23 ans, de m’être fait du mal et d’avoir mis autant de temps à me rendre compte que ça me bouffe de l’intérieur. Alors je pourrai regarder l’adolescente insouciante que j’étais avec bienveillance et ne plus lui en vouloir de nous avoir gâchées. Parce que ce n’est pas dommage ce qui nous est arrivé. C’est simplement la vie.

Voilà la magie de l’écriture. Je n’avais aucune idée de ce que j’allais raconter aujourd’hui et je termine par cette confession que j’hésite à publier. Je respire mieux. J’ai un nouvel objectif sur ma liste que j’espère pouvoir rayer bientôt. Je n’ai finalement plus qu’une chose à dire : MERCI 🙏

14 réflexions sur « Un cahier et un crayon »

  1. Magnifique texte ma belle Amélie. Il regorge de résilience, de douceur et d’acceptation que c’est la vie et que c’est ton combat mais il ne t’empêche pas de poursuivre. Les images dans ton texte viennent me rejoindre. Tu parles de l’ascenseur, je parle de surfer sur des vagues. J’aime la force de ton caractère. Tu es une vraie battante. Ils sont nombreux qui chialent contre tout et rien, qui prennent la vie pour acquis sans savoir à quel point ils sont chanceux d’avoir la plus simple des choses : l’autonomie. La vie est vulnérable. Il faut être reconnaissant en tt moment. Toi, tu l’es malgré bcp d’obstacles. Tu l’es et tu sais apprécier tout ce qu’elle t’offre.
    Continue à être passionnée d’elle. À écrire aussi. Tu as une belle plume et du vécu à partager. Je te fais un câlin rempli d’amitié.
    Dina

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    1. Merci Dina pour ton message qui me va droit au ❤️
      La vie est passionnante oui et ceci même si elle sort de l’ordinaire. Parfois j’aimerais ouvrir de force les yeux de certains mais on n’arrive à rien par la violence. Alors je continue d’écrire, d’abord pour moi, parce que c’est devenu vital, et un peu pour ceux qui prennent le temps de me lire. On se rejoint là dessu 😉 je te fais de gros bécots de ma France profonde 😘

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  2. Merci à toi de l’avoir écrit ET publié ! :) ça me fait penser à plein de trucs, essayons d’être ordonnée ^^ :
    d’abord concernant la planification et le manque de spontanéité, Elodie avait écrit cette article, ça devrait te parler : http://www.maviemonhandicapmesemmerdes.com/2017/08/cette-charge-mentale-meconnue.html
    Ensuite, je ne vis pas cette dépendance mais parfois je vis un sentiment d’inutilité (d’être obligée de laisser faire les autres) et souvent je l’accepte mal…. Je devrais écrire là-dessus, ce serait intéressant.
    Ensuite bis, bien sûr que la planification c’est le lot de tous mais pour certains c’est plus important / envahissant / problèmatique. Comme je dis (très) souvent, tout est question d’échelle et le handicap a le chic pour exacerber des soucis anodins…
    Enfin, c’est clair que la ville ça va te changer la vie, j’ai hâte pour toi !

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    1. J’avais lu l’article que tu as partagé et effectivement on peut parler de charge mentale. Parfois j’ai des coups de panique en pensant avoir oublié de prévenir une telle de récupérer la petite ou une autre de laisser des clefs. C’est fatiguant, usant et souvent démoralisant. Mais heureusement il y a des moments plus légers qui compensent 😉 merci en tout cas pour ton commentaire et je te rejoins sur le sentiment d’inutilité. Mais je me soigne 😉

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  3. Un très beau témoignage, lu via Dina D. Tu as bien raison d’écrire, si tu en ressens le besoin. :) Toujours suivre ses intuitions.
    J’ai aimé un handicapé total. Sur respirateur, et tapant sur son pc avec une baguette. Il avait un moral du tonnerre, et je retiens de lui son merveilleux sourire, et la beauté de ses yeux qui parlaient pour lui.

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  4. Wouah. J’ai des frissons dans le dos. Quelle femme tu es! J’ai lu ton courage, j’ai lu ta force, j’ai lu ta détermination, j’ai lu ton abnégation. Du fond du coeur : bravo !

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  5. Bonjour Amélie,
    Je viens de faire votre connaissance par le biais de cet article, qui suscite beaucoup d’émotions et d’échos en moi. Emotions de vous rencontrer et de me sentir en lien avec vous par le biais de certains points communs. Hâte de vous lire. Merci et à bientôt, j’espère.

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