Au théâtre ce soir !

J’ai écrit le texte qui suit il y a quelques semaines dans le cadre de mon accompagnement à l’écriture avec la formidable Marie-Ève Tschumi(1) . Une de mes plus chères amies a posté un écrit similaire sur son blog (lien en fin de page). Ca m’a donné le courage de partager le mien, d’oser mettre en lumière un côté plus sombre de mon rapport à la dépendance.

Je suis spectatrice de ma propre vie. La plupart de mes gestes sont exécutés par d’autres. Elles. Toutes celles que j’ai eu à mes côtés et qui m’ont compensée. 

Des scènes anodines se sont jouées jour après jour, qui parfois imprègnent encore mon esprit. Des morceaux de vie collés à moi comme du papier-peint gluant qui tient encore au mur.

Celle qui se déroule aujourd’hui devant moi, cette bribe de vie qui devrait être la mienne, jouée par une autre, me rend triste et envieuse. J’observe le ballet de leurs corps. Elle coupe les tomates, il essore la salade. Un instantané banal du quotidien. La cuisine s’anime. Ils se frôlent, se croisent, se parlent et rient. Leurs mains sont splendides, efficaces. L’une vole une rondelle rouge, l’autre pique une feuille verte. J’ai peur qu’il lui glisse un morceau dans la bouche. Je ne veux pas qu’ils parlent, je ne veux pas qu’ils rient. Je ne veux surtout pas qu’ils se touchent. Je veux qu’elle soit un automate, inhumaine, froide de corps et de cœur. Je ne veux pas qu’elle lui montre ce que je ne suis pas. Je veux qu’elle se taise. Je veux qu’elle disparaisse à mon profit. Je veux qu’elle soit une ombre sans substance, sans son et sans odeur.

Où est ma place dans ces histoires ? Éternelle observatrice, simple donneuse d’ordres. Je vis par procuration. Tout émane de moi, le menu, l’heure du repas. Mais rien ne passe par moi. Une autre anime ma volonté. Je souffre. Ce soir je pleurerai mon absence au monde. Et je serai envieuse des mouvements d’une autre, de ses gestes qui m’appartiennent, de ses possibles qui mettent à jour mes manques. Qui suis-je ? C’est moi l’ombre sans substance. Ou plutôt c’est moi l’ombre trop présente. 

Elle lui rase la tête et c’est insupportable. Il a demandé si ça me dérangeait. J’ai dit non. Je pense oui, bien-sûr, évidemment, t’es con ou quoi ? Sa main passe sur son crâne, touche sa nuque. J’ai l’impression qu’elle le caresse. Elle enlève délicatement les quelques cheveux tombés sur ses oreilles. Elle souffle sur son front. J’ai envie de la tuer. Non pas elle en particulier mais toutes celles qui pallieront mes impossibles. Tout ce qu’elle représente à cet instant précis. Je veux qu’elle meurt, qu’elle crève et je veux devenir elle. Je veux la dépecer. Pourrais-je enfiler sa peau ? Même dégoulinante. Même trop petite. Je l’étirerai pour y entrer, me fondre en elle. Une heure, une minute, une seconde. Pitié juste une seconde. Être celle qui fait, qui est. Une seconde en elle contre une vie d’impuissance. Dites moi avec qui pactiser, je signe les yeux fermés. J’offre ce qu’il me reste de vie pour une seconde en elle. 

Ce soir elle rentre de courses. Je lui ai donné une liste. Elle pose sur la table quelques tranches de jambon blanc qui n’étaient pas notées. Il est là, appuyé sur le plan de travail. Elle le regarde, lui sourit. Je ne comprends pas. Elle s’explique. Il a dit qu’il pourrait en manger à tous les repas. Je m’en souviens maintenant. Elle a pensé bien faire. C’est gentil, il dit. Il sourit. Je fulmine. Je me vexe. Ce n’est rien, j’exagère. Je perds un peu plus ma place, je vais finir par tomber. C’est anecdotique ils disent. Ils rient. Je pleurerai ce soir le manque de tact d’une autre, le geste déplacé, inconvenant. Il n’est pas à elle, ce n’est pas sa vie ni sa liste de courses. Je doute. Suis-je trop en plus de n’être pas assez ? Où est ma foutue place ? 

Ils exécutent une danse inconsciente et j’en suis totalement exclue. Ils ne savent pas et je ne vois que ça. Funambule, je suis en équilibre instable, condamnée à voir se dérouler devant moi le film de ma vie. Heureusement j’en reste la scénariste et la réalisatrice. Et avec le temps, je soigne mieux le casting. Être dépendante n’empêche pas d’être totalement autonome mais c’est un état qui peut-être particulièrement cruel. Vous pouvez lire le texte de Létitia ici.

(1) : https://www.ecrivain-e.com

Pieces of a Woman

J’ai eu de la chance dans mon parcours de femme. J’ai vécu des grossesses heureuses, j’ai mis au monde deux merveilleux bébés sans encombre majeure. Je n’ai jamais fait de fausse-couche, je n’ai pas eu de mal à tomber enceinte, je n’ai jamais eu à faire le choix de garder ou non un enfant et je suis réglée comme un coucou suisse. J’ai conscience que mon histoire est idyllique et à 42 ans, alors que je me sens à l’apogée de ma vie de femme, j’en suis très reconnaissante et j’attends la suite avec sérénité.

Cela dit, je suis toujours extrêmement touchée par ce que vivent les autres femmes et je ressens au fond de mes tripes l’effleurement de ces douleurs. Un souffle juste assez fort pour me laisser supposer l’horreur.

Pourquoi je raconte ça aujourd’hui ? C’est que j’ai regardé – Pieces of a woman – du réalisateur hongrois Kornél Mundruczó et qu’on ne peut pas sortir indemne d’un tel film. Je ne pouvais pas juste éteindre ma TV et passer à autre chose. Ça m’a rappelé les histoires entendues et vécues de plus ou moins près. Ça m’a foutu un coup quoi …

Ce film est inspiré du vécu du réalisateur. Sa femme et lui ont perdu un bébé pendant la grossesse et ils n’en ont jamais vraiment parlé. Un jour il tombe sur un carnet de notes qu’elle a intitulé – Pieces of a woman – (ce qui veut dire morceaux d’une femme) dans lequel elle écrit à propos de la perte d’un enfant. Il a un véritable choc à la lecture de ces mots, prenant conscience du silence installé entre eux et propose à sa femme de travailler sur un projet à ce sujet. Ils montent alors une pièce de théâtre en Pologne et devant les nombreux retours positifs, continue avec ce film qui a raflé et raflera surement encore quelques récompenses.

Ce billet n’est pas une critique cinéma même si je tiens à saluer la performance des acteurs et en particulier du couple qui fonctionne à merveille.

Je ne connaissais pas Vanessa Kirby et je dois dire qu’elle est époustouflante. Quant à Shia LaBeouf, je l’avais découvert comme tout le monde dans la trilogie Transformers (bon ok c’était dans la série pour gamins – La guerre des Stevens – mais faites comme si vous ne le saviez pas) et je n’avais pas entraperçu alors son potentiel dramatique. C’est dans le clip – Elastic heart – de Sia qu’il m’a totalement bouleversée et conquise.

Je ne sais pas vraiment où je veux en venir avec ce billet. J’avais seulement besoin de partager cette émotion. Et ce qui est étonnant, ce qui me touche le plus là maintenant et qui n’est pas le sujet du film, ce sont ces couples qui doivent faire le deuil d’un enfant qui n’est pas né. Renoncer à devenir parents quand on le souhaite de toutes ses forces, c’est faire un deuil étrange, non palpable, non visible, non reconnu. Et moi je pense qu’il y a des mots qui doivent être écrits, prononcés et entendus pour que la tristesse n’abime pas trop les coeurs. Voilà ma petite contribution !

Les boites à bonheur

Je suis fan de boites. Depuis toujours. Balancé là comme ça je comprends que ça puisse vous dérouter. Qu’est-ce qu’elle raconte celle là avec ses boites … mais c’est vrai. Si je m’écoutais je garderais les boites des fromages, les boites des chaussures (surtout les mignonnes des enfants, il y a quand même un effort de dingue sur la packaging), les boites de tout mes téléphones qui ressemblent à des coffrets de parfums, les boites de Ricoré que je décorais quand j’étais gamine … bref des boites, des boites, des boites !

Alors imaginez mon excitation quant ont commencé à fleurir sur internet les offres d’abonnements à des boites, enfin des BOX, pour des produits aussi variés que du maquillage, des produits de beauté, des bouquins ou de la bouffe. Oui même de la bouffe!

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J’ai essayé tant bien que mal de résister mais j’ai flanché un soir de pleine lune en scorpion et dans une crise mémorable d’achats compulsifs. En même temps comment veux-tu résister à des beautés pareilles ? Je suis presque plus dingue des boites que de leur contenu. Il s’agit de la Biotyfull Box que je reçois une fois par mois avec un brin de fébrilité à l’ouverture … bon j’avoue les produits ne sont pas tous top ni certifiés bio mais le principe est sympa et c’est déjà pas mal !

À la Box « beauté » s’est ajoutée récemment la Box « littéraire ». J’ai arrêté d’acheter du livre papier il y a un moment pour des raisons techniques évidentes. Mais je peux quand même lire un bouquin classique si je m’en donne un peu la peine et le contact me manquait. J’ai cherché les offres les plus appréciées par les lecteurs et j’ai jeté mon dévolu sur Le Ptit Colli, regardez comme il est joli avec ses boites magniiiifiiiiiques et ses sympathiques goodies :

Je n’ai pas mis la boite de janvier car elle aura droit à un traitement de faveur tellement je l’ai adorée. Bien évidemment je garde toutes les boites vides dans un petit coin de mon placard (qui commence à être un gros coin mais ça en vaut la peine, j’ai des jolies boites!).

Le corps des femmes

J’ai osé. C’est ici ! Ou là :

Un jour j’ai marché grâce à de longues jambes. J’ai été grande et fine, même presque trop. J’ai eu une petite poitrine mais personne ne s’en est jamais plaint et de longs cheveux noirs et bouclés ont couvert mes larges épaules. De mes origines espagnoles j’ai hérité de généreuses hanches et de bonnes cuisses et je me suis entendu dire souvent que j’avais de belles fesses. Je n’étais pas la plus jolie mais j’avais toute la splendeur de mes seize ans, quand le corps oscille entre la fillette et la femme, qu’il n’est plus ni tout à fait lui même, ni tout à fait un autre. Je ne savais d’ailleurs pas moi même qui j’étais, en équilibre instable au bord d’un précipice dans lequel je suis finalement tomber.

La chute fut rapide. Des phares dans la nuit, un froissement de tôles, la nuque écrasée et la moelle épinière en bouillie.

La jeune et jolie adolescente que j’étais est morte dans ce gouffre.

A l’aube de mes dix-sept ans on a rasé mes longues boucles noires pour me visser le crâne à un poids de 2 kilos. On a percé ma gorge pour y introduire la canule qui allait me permettre de vivre. On a troué les côtés de mes petits seins pour y enfiler des drains et vider mes poumons emplis d’une eau mortelle. On a fait descendre par mon nez et jusqu’à mon estomac un long serpent nourricier. On a piqué mes bras de mille aiguilles salvatrices.

La femme tétraplégique que je suis est née dans ce service de réanimation.

Depuis je ne marche plus et mes jambes se sont amaigries. Je suis toujours aussi grande mais seulement allongée car assise dans mon fauteuil je suis constamment la tête en l’air et j’observe le monde comme une enfant de 8 ans. Ma poitrine s’affaisse sur les côtés de mon torse et mes longs cheveux noirs et bouclés cachent lalongue cicatrice qui orne désormais ma nuque. Mes hanches et mes fesses s’étalent sur mon coussin anti escarres et on ne me complimente plus sur elles. Je ne suis toujours pas la plus jolie et je suis loin d’avoir toute la splendeur d’une femme de 34 ans, quand le corps est encore beau malgré le temps qui passe.

J’ai longtemps détesté ce corps immobile, inconnu. Je l’ai regardé avec mépris, je l’ai maltraité par omission, le laissant à l’abandon comme un jardin que l’on n’entretient pas. Je l’ai trouvé encombrant, moche, inutile, dérangeant et j’ai souvent préféré rester seule plutôt que de l’imposer aux autres. Il y avait moi et il y avait lui. Moi et ce bout de chair …

Et puis il est arrivé une chose. Un événement que seul mon corps pouvait gérer et pour lequel il a bien fallut que je lui fasse confiance. Niché au fond de ce ventre flasque un petit être s’est installé.

Sans encombres, naturellement, facilement, par voie basse, comme vous toutes, comme une femme, ni handicapée, ni inutile, ni encombrante ou dérangeante … Deux fois j’ai mis au monde un bébé.

Deux fois. Deux filles.

Alors je me suis un peu réconciliée avec lui. Un tout petit peu. Suffisamment en tous cas pour continuer, avoir envie de m’ouvrir, me revendiquer comme mère et femmeavant toute autre chose. Et oser partager mon histoire avec vous. Et à ceux que cela dérange je citerai une phrase, juste, d’Elisa BLANDAU « Que les voyeurs passent leur chemin, j’étale, certes, mais c’est pour construire ».